Savez-vous comment résoudre le problème de la pauvreté dans le monde ? Eh bien, faites des politiques en faveur l’éducation des filles. Ce n’est pas moi qui le dis, mais les sociologues de tout de bord. Une société qui les prend sous son aile dès le plus jeune âge et leur apporte une bonne éducation ne peut que constater les progrès de la communauté : la mortalité infantile diminue, le revenu par habitant augmente, la croissance économique augmente, le taux d’exposition aux MST, notamment le VIH, chute. Le travail des enfants devient moins fréquent aussi bien que le mariage des enfants. Les mères instruites ont tendance à éduquer leurs enfants et elles gèrent mieux les revenus du ménage. Alors une société qui œuvre à leur éducation, œuvre à la réussite de toute la communauté.
Que les pays émergents le veuillent ou non, les filles sont leurs plus grandes richesses. Comme disait l’économiste Lawrence Summers, « Éduquer les filles génère un meilleur retour sur investissement que n’importe quel autre investissement dans les pays en développement. »
Cela est incroyablement vrai dans l’histoire de Malala Yousafzai, une jeune fille Pachtoune de la vallée de Swat, née d’une mère illettrée, qui a grandi à l’école de son père, lisait « Une brève histoire du temps » de Stephen Hawking à l’âge de 11 ans et a un don oratoire indéniable.
Et nulle part ailleurs ce principe d’éducation des filles n'est plus rejeté que dans la vallée verdoyante de Swat, où les djihadistes extrémistes descendent des montagnes, terrorisent les villageois et radicalisent leurs garçons, et où, il n’y a pas encore longtemps, un taliban a bondi dans un bus en criant, « Qui est Malala ?» et lui a tiré une balle dans la tête à bout portant pour s’être exprimé à propos du droit que Dieu lui a donné de pouvoir aller à l’école.
Malala raconte cet épisode douloureux de sa vie dans sa biographie fascinante « Moi, Malala ». Coécrite avec Christina Lamb, une journaliste britannique aguerrie qui a une passion évidente pour le Pakistan et qui raconte l’histoire compliquée de Malala avec une extrême clarté. Ce livre doit être mis entre toutes les mains non seulement pour son drame, mais aussi pour le message sur le potentiel inexploité des filles.
L’histoire commence avec le père de Malala, Ziauddin Yousafzai, fils d’un imam, à qui on a inculqué dès l’enfance un profond amour de l’apprentissage, un sens indéfectible de la justice et un engagement inébranlable dans la défense de ces deux principes. Comme Mohammad Ali Jinnah, le fondateur du Pakistan, Ziauddin était convaincu que, outre l’épée et la plume, il y avait un pouvoir encore plus grand – celui des femmes – et quand son premier enfant s’est avéré être une fille curieuse et brillante, il l’éleva avec la même attention qu’il prodiguait à ses fils.
La plus grande ambition de Ziauddin, qu’il réalisa alors qu’il était jeune enseignant, était de créer une école où les enfants pourraient développer pleinement leur potentiel humain. Pachtoune, il venait d’une tribu qui avait émigré de Kaboul pour s’installer dans un havre de paix séparant le Pakistan de l’Afghanistan ; comme Yousafsai, il était le fier légataire d’un riche héritage qui remontait à la cour Timouride du 16e siècle. Mais Ziauddin était aussi un pauvre avec de grandes ambitions et pas un sou à son nom.
Malala est né en 1997, quand son père luttait pour fonder son école contre une marée d’ennuis : un fonctionnaire du gouvernement profondément corrompu à qui il a refusé des pots de vin ; un mufti qui vivait en face et qui s’opposait à l’éducation des filles, une pratique qu’il dénonce comme haram, ou contraire aux préceptes de l’islam ; et les vicissitudes d’un djihad féroce, qui se manifestaient de temps à autre par des raids de talibans qui peu à peu ont évolué de la rhétorique radicale aux assassinats purs et simples. Quand Malala avait 10 ans et était la meilleure élève de l’école étonnamment florissante de son père, les talibans radicaux avaient infiltré toute la vallée et tous les chemins jusqu’à la capitale du Pakistan, Islamabad, et décapitaient les policiers pakistanais, puis exhibaient leurs têtes au bord des routes.
« Moniba et moi avions vu un film de la saga Twilight », raconte Malala, et « nous avons eu l’impression que les talibans, à l’instar de ces derniers, s’introduisaient chez nous en pleine nuit. Ils apparurent en groupes, armés de coutelas et de kalachnikovs, d’abord dans le Swat supérieur, dans les régions de plateaux de Matta. [ .. ] C’étaient des bonshommes à l’allure étrange, avec de longs cheveux hirsutes et des barbes, portant des gilets de camouflage par-dessus leur shalwar kamiz, leurs pantalons bouffants, qu’ils retroussaient bien au-dessus de la cheville. Ils portaient des chaussures de sport ou des sandales en plastique de mauvaise qualité, et parfois des bas sur la tête avec des trous pour les yeux, et ils se mouchaient dans un pan de leur turban. »
C’est à cette époque que les bombardements de l’école ont commencé et Maulana Fazlullah, un jeune extrémiste qui était jadis l’ancien opérateur de la chaise poulie permettant de traverser la rivière, devient connu sous le nom de Radio Mollah, une pièce maitresse de la propagande talibane, instaurant un règne systématique de terreur dans toute la vallée de Swat. Fazlullah a annoncé la fermeture des écoles pour filles ; il a loué le meurtre d’une danseuse ; ses hommes ont tué un enseignant qui refusait de plier son pantalon au-dessus de la cheville à la façon talibane.
Mais avec toute la terreur qui régnait autour d’eux, Malala et sa famille n’étaient pas résolus à se soumettre. Ziauddin a continué à pester, contre l'hégémonie des talibans de son pays, dans les bureaux du gouverneur, à l’armée, à qui voulait l’entendre, se faisant un nom dans la vallée de Swat pour sa droiture et son courage. Et bien que Malala ait appris à aller à l’école avec ses livres cachés sous son châle, elle a continué à étudier et à se surpasser, jusqu’à faire des discours en public en faveur de l’éducation.
Lorsqu'en 2009 la famille a été forcée de quitter la zone frontalière de plus en plus violente dans « le plus grand exode de toute l’histoire pachtoune ». Ils mirent le cap vers Peshawar, où Malala fait une intervention à la radio, rencontre l’ambassadeur Richard Holbrooke, et continue à promouvoir l’éducation des filles. En passant par Abbottābād pendant leur fuite, la famille était loin de s’imaginer qu’Oussama Ben Laden lui-même y avait trouvé refuge. Finalement, de retour chez eux, ils découvrent que leur école bien-aimée – à leur plus grand désarroi – était devenue un point de résistance de l’armée pakistanaise contre les talibans.
Nous savons comment cette histoire se termine, avec une enfant de 15 ans prenant une balle pour toute une génération. Il est difficile d’imaginer une chronique de guerre plus émouvante à part peut-être le journal d’Anne Frank. Avec la différence majeure que nous avons perdue cette dernière, et par miracle, nous avons encore Malala. Profondément défigurée par le tir de son agresseur, Malala a été transportée à Peshawar, puis Rawalpindi et enfin Birmingham, en Angleterre, où les médecins ont reconstruit son crâne endommagé et reconstitué son visage démoli. Mais son sourire ne sera plus jamais tout à fait le même.
Inébranlable, Malala n’a jamais caché ce visage – pas quand les talibans ont insisté pour qu’elle le fasse, et pas quand, sortie vainqueur de sa bataille pour la survie, elle se tenait debout à la tribune de l’ONU pour livrer son message encore une fois et encore plus fort.
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, Malala s’est presque complètement remise – physiquement - de son attentat, et a même reçu le prix Nobel de la paix en octobre dernier.
Malala n’est plus seulement la fille de ses parents ou d’une nation, elle est la nôtre également, parce qu’elle représente désormais le fabuleux et universel potentiel des jeunes filles partout dans le monde.